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LES EGA SONT–ILS DES DIDA ?

Depuis un certain temps, la question de l’origine des Ega et leur appartenance au peuple Dida fait florès sur les réseaux sociaux, notamment sur facebook. A cette problématique, j’ai apporté une réponse on ne peut plus claire, à notre première réunion en novembre dernier à Yopougon. Ceux qui étaient présents ont été savamment nourris. Mais pour sacrifier à la vertu pédagogique, il me semble nécessaire voire impérieux de rebondir sur la question. Reposons le problème : Les Êga sont-ils des Dida ? En d’autres termes, quelle est l’origine des Êga ?

Lecteurs miens, la question de l’origine des Êga est très complexe, et son approche nécessite que l’on le fasse avec perspicacité et sans passion. L’histoire, en effet, ne retient pas de façon très précise de données sur la question étant entendu que peu d’écrits en font mention. Pour apporter ma pierre à l’édifice, cela fait aujourd’hui onze (11) ans que je travaille sur la question. J’ai parcouru la quasi-totalité du territoire « Êga » (ou diès par abus), à la recherche d’informations. Je rappelle que les Êga sont un peuple minoritaire situé dans l’enclave Divo-Guitry-Fresco-Lakota. C’est un melting-pot, c’est-à-dire un peuple issu d’un mélange de deux peuples : un peuple adoptant (les Êga d’origine, de source séculaire, nos aïeux. L’histoire n’a rien retenu de leur nom) et le peuple adopté (les Êga venus d’ailleurs, peuple migrant qui ont donné leur nom « êga » à nos aïeux ». Que s’est-il passé exactement dans l’histoire ?

1) Le peuple adoptant (nos aïeux)

L’histoire retient du peuple êga (et tous les êga le savent) que les Êga, propriétaires terriens, sont nos parents de Koschem. On les appelle ainsi, car ils seraient descendants d’une revenante (cela reste scientifiquement à vérifier). L’an dernier (2016), dans le mois de septembre, j’ai été dans ce village, pour toucher du doigt la réalité de cette histoire. Les interviewés (dont vous découvrirez le nom dans mon prochain livre), m’ont confirmé cela, et ont indiqué que ce sont nos parents de Béhiri (ou Ibehi) qui les auraient ramenés de la forêt. Si nous admettons cette hypothèse, nous pouvons aussi déduire que nos parents de Ibehi, eux aussi, étaient installés à ce lieux de façon originelle. Retenons donc de l’histoire que nos parents de Koschem et de Ibehi ne sont venus de nulle part : Première remarque.
Poursuivant, je voudrais attirer l’attention de tous ceux qui ne le savent pas que dans tous les villages Êga (Gnama, Igagokpa, Labodougou, Dairo-Didizô, Béhiri,…), à l’exception de Ziki-diès et Doumbaro, il y a une famille du nom de « êzuroboué », c’est-à-dire des « hommes qui sont sortis de terre ». En réalité, ils ne sont pas sortis de terre. Ce sont des êtres humains créés par Dieu, et qui vivaient dans des grottes, dans cette partie de la terre. Pour votre gouverne, retenez que souvent, quand les hommes ont oublié leur origine, ils font appelle au mythe pour l’expliquer. C’est le cas de ces derniers.

Les « êzuroboué » de Gnama par exemple (et mes frères de Gnama peuvent le confirmer), vivaient dans « ognoumokofio » (colline située entre Ziki-diès et Gnama.
Lecteurs miens, de cette histoire, nous retenons trois catégories d’êga : les Koschem, les Béhiri et les êzoruboué. Ceux-là n’ont d’autre origine que celle où ils se trouvent depuis la nuit des temps, et seraient nos aïeux authentiques. De cette histoire, il faut retenir que ce peuple minoritaire, Koschem, Béhiri et êzuroboué (qui n’était vraiment pas encore un peuple au sens vrai du terme) vivait caché. Quitte dans les grottes, quitte dans les bois. Lorsque les Dida sont venus (lors des grandes migrations) ce peuple était déjà-là sans que l’on en découvre encore les traces. Je dis bien qu’ils étaient très minoritaires et vivaient en petit foyer dans les grottes et bois. Ce fut donc la première invasion de ce peuple, mais qui ne dit pas manifestement son nom. Deuxième remarque.

2) Le peuple envahisseur ou impérialiste : les êga

Le peuple qu’on appelle les êga et qui a donné son nom à nos aïeux (Koschem, Béhiri et êzurouboué) est effectivement venu d’ailleurs ; à l’occasion des flux migratoires. Ils seraient venus du Bénin-Nigéria (car le Bénin et le Nigéria avant la colonisation formaient un même et unique peuple). C’est le roi Béhenzin (Dahomey) qui aurait envoyé une partie de ses compatriotes au Ghana pour chercher de l’or. Arrivés au Ghana, ces derniers ne seraient plus retournés chez eux. Et à la suite des guerres tribales, ils se seraient déplacés jusque chez nous. Ils auraient dit : « abhu ma gana wê ssi. » De cette phrase dite en êga, ressort le lexème « êga » qui veut dire « cuire » ou « préparer », « cuisiner ». Les fuyards auraient donc voulu dire que « c’est ici que nous en découdrons avec l’adversaire, car nous sommes fatigués de courir ou de fuir à travers monts, forets et vallées » ; d’où le nom « êga ». Et comme ils étaient numériquement plus nombreux et plus puissants militairement, ils ont soumis nos aïeux (Koschem, Béhiri, êzuroboué). Ainsi, ils sont tous devenus Êga. La langue que nous parlons aujourd’hui, n’est pas celle que les arrivants parlaient au départ. Cette langue a connu plusieurs modifications sous l’effet du temps. C’est un phénomène linguistique tout à fait naturel (Cf. Cours de linguistique général, Ferdinand de Saussure, quatrième livre). Les Koschem, Béhiri, êzuroboué eux aussi avant l’arrivée des Êga parlaient certainement, chacun dans son microcosme une langue différente de la langue êga, mais que nous ne connaissons pas aujourd’hui par manque d’écrits.
Lecteurs miens, de ce qui précède, vous comprenez donc que ceux qu’on appelle êga aujourd’hui le sont devenus après, donc qu’ils ne l’étaient pas au départ.

3- Les êga sont-ils des lagunaires ?

Voici une autre question qui taraude les êga et à laquelle ils ne trouvent pas de réponse. Voulant en savoir plus, j’ai poussé loin mes recherches et enfin j’ai découvert la réponse à cette question. Des historiens chercheurs ont écrits que les Êga sont un peuple lagunaire sans expliquer clairement comment et les Êga semblent perturbés. Ils ont raison ! Un peuple lagunaire est celui qui vit en bordure de lagune, or chez les Êga, il n’y a pas de lagune. Alors comment se fait-il que des chercheurs écrivent que les Êga sont des lagunaires ? Lecteurs miens, je voudrais vous souligner qu’à l’origine, le peuple êga était effectivement lagunaire, il a cohabité avec la lagune. Mais selon l’histoire, la lagune aurait eu maille à partir avec le grand génie des êga ‘le Tagolou’’, et qui l’aurait chassé pour aller se réfugier à Lozoua (à Grand-Lahou), pour donner l’actuel ‘’Tadjo’’. J’ai visité l’an dernier l’ancien lit de ladite lagune situé juste dans une forêt derrière l’école primaire et le terrain de football de Didizô. Mais la lagune n’étant plus là, il y des décennies, on ne peut plus dire aujourd’hui que les Êga sont des lagunaires. De vous à moi, pour ceux qui connaissent les Êga, en quoi leur façon de vivre ressemble t- elle à celle des lagunaires ? Qu’est-ce que les Êga ont-ils en commun avec les lagunaires ? Rien ! C’est comme entre le jour et la nuit. Les Êga ne sont donc pas ou plus des lagunaires, car matériellement ils n’ont rien pour le justifier.

4-La langue : Une langue Kwa ?

A partir d’une étude contrastive (la grammaire/ linguistique contrastive), c’est-à-dire qu’à partir d’une étude comparative faite entre les monèmes et phonèmes des langues kwa et la langue êga, les linguistes ont trouvé de réelles ressemblances, rapprochements. De là, ils ont tiré la conclusion selon laquelle la langue êga est une langue kwa. C’est possible vu que cette langue nous vient d’ailleurs ; mais là les chercheurs doivent aussi faire beaucoup attention car la langue êga, telle que parlée auparavant n’est plus la même aujourd’hui. Elle s’est beaucoup modifiée avec le temps, surtout par son rapprochement avec les langues voisines (dida, godié, etc.). Certains vont jusqu’à conclure que les Êga seraient des Akan, car venus du Ghana. Dans le fond, il n’en est rien. Je vous ai longuement entretenu sur la nature réelle des Êga. Les Êga ne sont pas des Akan ; ils n’ont rien des Akan. En revanche, sont-ils des Dida ?

5- Les Êga sont-ils des Dida ?

Si vous m’avez bien suivi jusque là, alors je voudrais qu’on réponde ensemble à une question : Les villageois de Ziki-diès sont –ils des Êga ? Si la réponse est oui, alors les Êga sont des Dida. Si non, alors les Êga ne sont pas des Dida, donc ils restent Êga. C’est une question de logique formelle. Mais je sais que peu sont ceux qui diront que les habitants de Ziki-diès ne sont pas des Êga ; sachant bien qu’ils viennent de Zikisso, une région Dida (Cf mon premier texte publié par Gnadou Zady dans zikisso.com « La légende Ziki-diès : de Zikisso à Ziki-diès »).

Les « Êga d’origine » connaissent une histoire très complexe, car ayant été victime de deux invasions. Les ‘’êga venus d’ailleurs’’ et les Dida. Aujourd’hui, c’est le peuple dida qui a pris le dessus en nombre si bien que le peuple êga semble être victime d’une ‘’phagocytose positive’’. Et comme je vous l’ai dit le peuple le plus fort transmet toujours sa culture au peuple le plus faible. Or, la culture s’avère l’élément essentiel d’identification d’un peuple. Les Êga n’ont pas à l’heure actuelle une tradition ou une culture propre à eux qui serait différente de celle des Dida. Les habitudes vestimentaires, les habitudes culinaires, les cérémonies traditionnelles (dote, mariage, funérailles, dation) observées par les Êga sont aussi à l’usage chez les Dida. Voyez-vous l’image de cette femme qui porte la hotte ? Elle Dida de Lakota. Je pense bien que c’est de cette même manière que nos mamans êga portent leurs bagages en revenant des champs. Les champignons, les fruits sauvages ‘gbatchê’’, vous les connaissez aussi. Ce sont des éléments gastronomiques à Lakota, mais aussi chez les Êga. De vous à moi, quelle différence trouvez-vous entre la manière de vivre des Dida et celle des Êga ? Les ÊGA sont bel et bien des DIDA !

Il ne faut pas se voiler la face pour le dire, car l’accepter n’est pas synonyme d’un reniement de soi. Bien au contraire ! Je pense qu’il faut laisser tomber un complexe dans lequel nous ne gagnons rien. Etre Dida, en étant ouvert à l’autre, est la meilleure manière d’affirmer son identité au lieu de crier à cor et à cri « Je suis Êga » en étant replié sur soi-même dans une tour d’ivoire appauvrissante. Les habitants de ZIKI-DIES bien qu’étant originaires de ZIKISSO ne refusent pas d’être Êga, car ce serait une aberration, mais ce n’est pas pour autant qu’ils n’ont pas conscience qu’ils viennent de ZIKISSO. L’autre partie des Êga devrait avoir se même reflexe. L’autre partie des Êga devrait se départir d’un complexe suranné, passéiste, rétrograde pour embrasser le vent des temps nouveaux, la globalisation !

Abraham GBOGBOU
Spécialiste de
Grammaire/linguistique française,
Ecrivain,
Président du Bureau Ad’hoc
De l’Association des Êga.

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